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Journal d'un Jeune Prêtre

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23 novembre 2009

Plus tard, en rentrant chez moi, je n'ai pu

Plus tard, en rentrant chez moi, je n'ai pu m'empêcher de faire le rapprochement avec la mort de mon père. Mon père n'était pas ce qu'on appelle "un croyant" ou disons plutôt que cet homme ne croyait pas en grand chose. Enfant, j'avais toujours eu pour lui des sentiments mitigés parfois mêlés de crainte et de curiosité. Le fait sans doute qu'il ne soit jamais là, nous laissant ma mère et moi livrés à nous-même dans un monde où matériellement, nous n'étions pas toujours à l'abri. Je ne lui en ai jamais vraiment voulu. L'alcool et les femmes, l'argent facile l'avaient définitivement écarté du reste de la société et de ses responsabilités familiales. Sa carrière dans la politique fut très brève et il ne tarda pas plus tard à sombrer dans une sorte de mélancolie morbide, rêvant de ce qu'il n'avait jamais réussi à atteindre. Alors que j'avais à peine 6 ans, il fut emporté par un cancer généralisé. Je me souviens que sur son lit d'hôpital, il confia ses dernières paroles à ma mère en déclarant qu'il avait été un époux indigne et qu'il demandait pardon . Il réclama également la présence d'un prêtre. Ma mère qui n'était pas très croyante non plus - et encore moins pratiquante - était visiblement très surprise par cette dernière volonté. Deux jours plus tard, le Père H. aumônier de l'hôpital et que je revis d'ailleurs des années plus tard fit irruption dans la chambre. Cet homme d'une taille imposante m'impressionnait par son allure élégante, sa longue soutane lui donnant un air encore plus solennel. Il donna l'onction des malades puis vint le moment où ma mère et moi dûmes quitter la pièce car c'était le moment de la confession. Naturellement, je n'ai pas su ce que mon père a dit ce jour là et je ne le saurai sans doute jamais.

Avant de mourir, il me prit une dernière fois la main comme pour me signifier la tendresse qu'il n'avait jamais eu à mon égard. Je la retirai aussitôt : ce que Dieu oublie à tout jamais, je ne pouvais l'oublier à mon tour.

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23 novembre 2009

Il ne fait pas très beau, aujourd’hui. Je me suis

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Il ne fait pas très beau, aujourd’hui. Je me suis levé tôt parce qu’il m’a fallu terminer quelques démarches administratives. Je me suis bien rendu au domicile de Madame M. Apparemment, elle vit seule avec son père ( je dis bien « apparemment » car je n’ai vu personne d’autre ). Son visage était tendu. Son père était allongé sur un grand lit, dans une pièce sombre. Cette pièce sentait la mort. C’est une habitude récurrente lorsqu’une personne est sur le point de mourir : Il y a toujours cette odeur indescriptible qui se dégage. C’était un homme plutôt âgé, environ soixante quinze ans. Dès qu’il m’a aperçu, il m’a tendu la main comme pour un appel à l’aide. Je me suis aussitôt joint à lui. Nous avons parlementé. Parfois, il s’arrêtait un instant comme si il méditait sur ses propres paroles ou pour reprendre son souffle. Il m' a dit qu’il avait un cancer qui le rongeait depuis fort longtemps mais que désormais, il n’avait plus la force de combattre : « Si Dieu me le permet, je désire maintenant mourir en paix . » Ensuite, il s’est mis à douter : « Je n’ai pas cru en Dieu. Savez-vous pourquoi ? Parce que Dieu, autant pour ce qu’il y a en nous de présence divine,  Dieu est impalpable pour un esprit humain. Ne vous méprenez pas, mon père, ce n’est pas son existence que j’ai parfois remis en cause…C’est son absence. Et une si longue absence dans la vie d’un homme,  c’est un océan de doute ». « Le ressentez-vous maintenant ? lui- ai je dit » « Je ne ressens rien de spécial mais j’ai peur, j’ai peur de la mort». Je voyais pour la première fois son regard angoissé « C’est une occasion pour vous de vous rapprocher … » ai – je rétorqué. Madame M, sa fille est alors entré dans la chambre pour me proposer un café, ce que j’ai accepté. Nous avons encore longuement parlé de la mort, de Dieu et des hommes. J’avais l’impression qu’il cherchait un peu à se confesser mais sans me l’avouer ouvertement. En repartant, Madame M semblait gênée par rapport à ce que m’avait dit son père. Je l'ai rassuré en lui disant que cela n’avait pas d’importance. Je repasserai plus tard ou en fin de semaine afin de le réconforter.

23 novembre 2009

Lundi 23

Madame M, une paroissienne, est venue me rendre visite à 8h. Son père est en train de rendre l’âme. Elle demande un soutien. Je lui ai dit que je serai disponible dans l'après midi. Messe à 10h. Pas grand monde.

20 octobre 2009

Mardi 20

Parfois, je me dis que c’est inutile parce que ce ne sont pas les larmes qui font revenir les morts : les morts restent des morts. En revanche,  Raymond est plus sensible. Je me souviens l’avoir surpris une fois alors qu’il entretenait une sépulture. Il pleurait. Je ne lui ai jamais posé de questions mais j’avoue que cela a éveillé ma curiosité. Je suis allé voir plus tard le nom gravé sur la tombe  : Marguerite S. Peut-être était-ce une amie , une vieille connaissance ? Je ne sais pas.

André fait un peu peur aux familles de défunts parce que son visage ressemble à celui d’un trisomique ( bien qu’il ne le soit pas ) . Lorsqu’il y a un enterrement, je fais toujours en sorte qu’il ne traîne pas trop au milieu. C’est vrai qu’il peut paraître impressionnant mais au fond, c’est un brave garçon. Il est très serviable et travailleur. Il ne rechigne pas à exécuter des tâches difficiles comme par exemple, creuser un trou. A ce sujet, une étrange « anecdoteanededocteanededocte » me revient : Nous étions une fois en plein orage, la pluie tombait si fort qu’on craignait que le cimetière entier ne  baignât sous les eaux. Il fallut finir très vite car nous avions pris du retard pour la cérémonie à cause de la météo. André creusait inlassablement et à mesure que le trou gagnait en profondeur, il poussait des sortes de cris, c’était vraiment bizarre à entendre. Je me souviens que Raymond et moi, on s’est regardé longuement, à la fois tout étonnés et embarrassés. Cela ressemblait à un mélange de hurlements et de cris de joie. André était tombé sur un objet curieux. En fait, c'était tout simplement un fragment d’os de tibia ! Dès qu'il a compris, le pauvre s’est échappé en courant. André est comme ça, il est imprévisible mais je crois que ce travail lui permet d’exprimer aussi ses sentiments.

C’est une chance pour lui car sans cela, il serait sans doute enfermé dans un asile ou un centre spécialisé.

20 octobre 2009

Mardi 20

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On a enterré un mort aujourd’hui. Un gars qui s’est tué en voiture. Il s’agissait d’un gamin d’une vingtaine d’années. Je n’ai pas eu le temps de voir son visage entre la famille nombreuse qui l’entourait et les préparatifs. Durant la cérémonie, mon regard s’est porté vers la mère. Elle était toute vêtue de noir, elle portait des lunettes de soleil afin de masquer ses yeux. Rien d’exceptionnel mais je pouvais entendre sa souffrance à travers les petits cris stridents. Le père du gamin ( ou un ami, je ne sais pas ) tentait de la maintenir debout car elle semblait au bord de l’effondrement. Je n’ai pas bougé, je me suis résigné à faire ce que je fais  habituellement : Prêtre. C’est une vocation parfois difficile ( surtout lorsque je m’occupe d’un enterrement ) on travaille sous la pluie ou dans le froid, on côtoie la souffrance des gens.   Heureusement, au cimetière, j’ai quelques assistants qui m’aident. Il y a le vieux Raymond et André. Raymond veille au respect du règlement du cimetière et occasionnellement,  à l’entretien des tombes. André est plus robuste, il démonte les petits monuments, il procède parfois au creusement des fosses, aux exhumations ou aux "réductions" de corps. Il est un peu en retard mentalement mais il est rapide et efficace.

Je m’appelle Jonas et  j’ai 35 ans. Cela surprend souvent parce que je suis jeune. Les clichés, sûrement… Dans l’imaginaire collectif, un prêtre est vieux. Cela peut paraître curieux mais je le suis d’une certaine manière. Et puis, dans ce métier, je crois qu'il vaut mieux être vieux. Raymond a 71 ans. Il est à la retraite. Depuis qu’il a perdu sa femme morte d’une leucémie, il ne supporte plus de rester seul chez lui sans rien faire. Comme c’était un ami de mon père, je lui ai proposé de venir m’aider de temps en temps. Je pense que ça lui plaît. Il voit du monde, il parlemente avec les familles de défunts, il me fait la conversation. Je l’invite parfois à dîner. C’est un brave homme, je l’aime bien et je crois que c’est réciproque. Tout comme Raymond, André est un employé communal. Mais contrairement à Raymond, André parle peu, il préfère effectuer son travail habituel loin des conversations ou des regards. Il a 24 ans. Comme je l’ai dit plus haut, il accuse un  retard mental depuis sa naissance. C’est tout ce que je sais de lui. 

J’aime ce « métier ». Il m’apporte une certaine joie. Je ne suis pas d’une nature triste. La douleur des familles m’afflige souvent même si, au fond, avec le temps, j’ai appris à me fabriquer une sorte d’armure.

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